du 03/10/2016 au 12/10/2016
Lire le suivant : Iran (1ère partie)
3 octobre, jour 103 : Frontière Géorgienne – Dzorakan (80 km)
J’avance très vite dans la matinée grâce aux 600 m de dénivelé négatif, j’atteins la seconde ville du pays, Gyumri, à la mi-journée. L’Arménie ressemble au haut plateau géorgien, avec très peu d’arbres et un paysage peu accidenté marqué par quelques sommets rompant la monotonie. Dès l’entrée dans le pays, j’aperçois au loin au sud la silhouette du volcan Aragats. Il domine le nord-est de l’Arménie avec ses 4090 m de haut et surtout ses 50 km de diamètre.
Gyumri est une ville très étendue. Je ne trouve pas de bureau de change alors que je pensais en trouver partout comme en Géorgie. Un commerçant d’une boutique de téléphonie très sympathique me rend service en échangeant mes laris géorgiens et mes euros contre des drams. J’étais un peu bloqué pour ne serait-ce que déjeuner :/
Le pays n’est pas très différent de la Géorgie, avec les mêmes boutiques où il faut pointer du doigt les produits derrière le comptoir, la quasi-absence de café ou de lieux publics pour que je puisse m’arrêter, les toits des maisons en tôle ondulée, les routes pourries, l’essence pas chère, les écriteaux en russe fréquents… La période soviétique a profondément marqué le développement du pays.
La progression est plus difficile dans l’après-midi, vent de face et relief alternant montées et descentes. En passant devant l’entrée d’une ville, une énorme banderole souhaite la bienvenue au pape et se félicite que l’Arménie ait été le premier pays à adopter le christianisme comme religion d’état ; j’apprendrai plus tard qu’il était venu ici même quelques jours auparavant.
4 octobre, jour 104 : Dzorakan – Eghvard (90 km)
Levé sous un ciel voilé, ce n’est pas la joie si la pluie revient ! Finalement les nuages resteront présents mais jamais menaçants, ils troubleront juste l’horizon. D’ailleurs loin au sud commence à apparaître la cône du Mont Ararat, 5137 mètres, plus haut sommet de… la Turquie. Et juste derrière, au pied de la montagne, c’est l’Iran et un peu plus à gauche l’Azerbaïdjan : il y a bien 4 pays différents sur trois petits kilomètres !
Le début de la matinée est plutôt physique mais elle se termine par une très longue descente rectiligne. Je fais essentiellement le tour du très large volcan décrit hier, en allant d’abord vers le sud puis l’est. Je finis la journée en m’approchant de la capitale Erevan mais j’ai décidé de faire l’impasse sur la visite. Je souhaite plutôt aller rouler au bord d’un lac d’altitude sans devoir rebrousser chemin depuis la capitale.
5 octobre, jour 105 : Eghvard – Lchap (90 km)
Le relief est marqué par des canyons profonds de 100 à 200m. Je roule sur un côté du plateau jusqu’à pouvoir descendre au fond des gorges et remonter un peu plus loin, il n’y a pas de pont. Le spectacle offert par les falaises et les arbres prenant peu à peu leur robe d’automne récompense les efforts.
La route monte ensuite progressivement vers le Lac Sevan à 1900m d’altitude. L’eau est transparente mais les berges sont quasiment entièrement privatisée donc il est difficile d’en profiter. L’eau est bien trop fraiche pour s’y baigner en octobre, c’est possible mais il faut du courage. Certaines parties du lac sont marécageuses et je passe à travers des nuées de milliers de moucherons, des centaines restent accrochés à mes vêtements ou entrent dans les yeux, le nez et les oreilles ! Je garderai sans doute le souvenir de tous les moucherons arméniens qui m’auront assailli tout au long de ces jours 😉 Je trouve une plage librement accessible où je passe la nuit.
6 octobre, jour 106 : Lchap – Shatin (98 km)
Je croise, dès les premiers kilomètres, un monastère construit sur un piton rocheux surplombant le lac mais en cette heure matinale pas moyen de faire autre chose que le tour. Je prends une route qui monte un peu dans les terres, longer le bord du lac ne s’étant pas avéré très intéressant jusque-là. En fait la route finit par être très pourrie mais au moins je profite d’une vue plongeante vers le lac donc je n’ai pas fait tous ces efforts en vain 🙂
Dans l’après-midi, la route quitte le lac pour attaquer un col à 2410m, record du voyage. Le paysage de la montée est fait de steppes vallonnées, rien d’impressionnant. L’ascension est relativement facile, le gros de l’effort étant au début pour s’éloigner du lac, la suite est une longue pente douce. Des fontaines à eau servent de point de repos pour les rares personnes engagées sur la route. Au sommet, la vue sur l’autre côté du col est impressionnante : profondes vallées boisées, falaises et pitons rocheux.
Juste après le col se trouve le caravansérail d’Orbelyan. Si vous découvrez ce mot, sachez que c’est un point d’étape pour les caravanes de marchands qui sillonnaient la Route de la Soie. Ils permettaient de passer la nuit à l’abri et en sécurité, aussi bien pour les hommes que pour leurs animaux. C’était aussi un lieu d’échange de marchandises. Ce bâtiment a été construit en 1332 et reste le mieux préservé d’Arménie. Il est tellement bien préservé qu’on ne voit rien à l’intérieur en l’absence de lumière !
Je rencontre à cette occasion un groupe de six cyclotouristes russes avec qui je finis la route puis campe. La descente est très rapide et superbe, mais comme le soleil disparait déjà derrière les montagnes, pas trop le temps de s’attarder pour prendre des photos. Nous passons la nuit dans un champs de pommiers.
7 octobre, jour 107 : Shatin – Jermuk (12.7 km)
Je décide de passer la journée avec le groupe. Après une grasse matinée, nous poursuivons la descente jusqu’à un point de rendez-vous où attend une camionnette prévue pour les emmener à Jermuk à une quarantaine de kilomètres de là. Ça ne m’avance qu’à moitié dans la direction prévue donc ce n’est pas tant de la triche 😉
Jermuk est une ville thermale connue pour son eau minérale gazeuse et ses sources chaudes. Elle est située sur un plateau surplombant une vallée où coule une rivière. Les paysages sont très jolis sur la route qui monte vers Jermuk, avec les parois verticales de la vallée et des arbres de plein de couleurs différentes. Je suis invité à passer la nuit dans l’appartement mis à leur disposition pour 2 nuits. Mes compagnons font vraiment un voyage vélo pépère mais ça me va très bien !
8 octobre, jour 108 : Jermuk – Ughedzor (31 km)
Après une expédition dans les montagnes pour trouver une source d’eau chaude, qui s’avère assez tiède pour s’y baigner, puis une source d’eau minérale, je quitte tout ce beau monde pour continuer mon voyage.
Plutôt que redescendre au fond de la vallée récupérer la route principale pour remonter, je coupe à travers les montagnes sur une route très difficile. Le revêtement au sol est défoncé en attendant d’être refait, c’est vraiment difficile d’avancer. En passant devant une grange apparemment abandonnée, je tombe sur un groupe de chiens errants : pas le temps d’hésiter, j’avance dans leur direction et je profite de la descente pour les semer. J’ai eu peur vu leur nombre (une dizaine) et le lieu isolé mais ils n’étaient finalement pas très agressifs, c’était bien pire en Grèce. Je m’arrête finalement au pied d’un col, pas le courage de continuer avec le risque de devoir passer la nuit à 2300m.
9 octobre, jour 109 : Eghedzor – Devil’s Bridge (94 km)
J’affronte l’ascension du col de bon matin. Au sommet un monument semble célébrer la Route de la Soie. Le reste de la journée sera essentiellement la traversée du haut plateau et de la steppe, pas de grosse perte mais quand même un certain dénivelé en descente le matin puis en montée l’après-midi.
Je suis surtout marqué par l’inconscience criminelle des automobilistes qui n’hésitent pas à entamer leur dépassement en sens inverse donc face à moi, à des vitesses supérieures à 100 km/h, sans se soucier de ma présence, m’obligeant à me jeter dans le bas-côté. Ça m’arrive 3 fois.
Je visite en route un site archéologique où des pierres (je ne sais pas si le terme menhir conviendrait) ont été adressées, alignées et pour beaucoup percées de trous, faisant un observatoire pour suivre la position des astres. Pour les courageux, ou ceux en 4×4, un autre site se trouve au sommet d’une montagne voisine, on y trouve des pétroglyphes, des gravures sur des pierres datant de près de 10000 ans. Je ne suis ni courageux, ni en 4×4, je me contente des photos :p
Je croise à deux reprises les amis russes qui sillonnent la région en camionnette, ils ne font vraiment pas beaucoup de vélo décidément ! En fin de journée, j’arrive au bord d’une profonde vallée. Un téléphérique permet de rejoindre le massif en face où je souhaite me rendre. Mais le ticket est de 3000 drams et il m’en faudrait 2 pour moi et mon vélo, soit au total l’équivalent de 12€. Je n’hésite pas, je n’ai pas l’argent ! Il ne me reste que l’équivalent de 5€ pour tenir jusqu’en Iran. Je me jette à corps perdu dans la vallée, 600m de descente, pour rejoindre la rivière et le Devil’s Bridge (pont du diable). Une source d’eau minérale tiède et des bassins creusés dans la pierre sont l’attraction touristique du coin. Après le coucher du soleil et le départ des vans de touristes, je peux aller en profiter en toute quiétude…
10 octobre, jour 110 : Devil’s Bridge – Kapan (68 km)
Grosse ascension de bon matin pour monter jusqu’au village de Tatev, 18 lacets et 600m de dénivelé. Ah oui, sans bitume donc sur de la caillasse, trop facile sinon ! Une fois là-haut, visite méritée du monastère. C’est un complexe imposant avec deux églises et des bâtiments annexes, le tout construit au bord de la falaise donnant sur la profonde vallée. Des restaurations sont en cours mais c’est dommage que la multitude de salles soit juste vide, rien n’est présenté ou expliqué.
Je reprends la route mais je n’ai d’autre choix que de continuer sur la piste dégueulasse. C’est une lutte sans merci, dans la montée d’abord où à chaque coup de pédale je dérape un peu et où chaque caillou est un obstacle qu’il faut escalader, puis dans la descente où je peux perdre le contrôle à tout moment en glissant sur le gravier ou en tapant contre une pierre. Je monte jusqu’à 2000m puis redescend très bas à 700m ! Après une quarantaine de kilomètres à ce régime, j’atteins enfin une route correcte. Je n’ai plus qu’à recommencer à monter !
Journée difficile, je n’ai pu avancer que de 68km. Je passe finalement nuit au bord d’un ruisseau, entouré pèle-mèle d’une pelleteuse, de deux sommiers rouillés et d’un baril plein de « perchlorate de sodium monohydraté ». Je ne sais pas à quoi ça sert mais les pictogrammes ne donnent pas envie d’ouvrir le baril !
11 octobre, jour 111 : Kapan – Meghri (69 km)
Hahaha… Une montée de 1500m pour passer le plus haut col du voyage à 2535m. Je lutte toute la matinée puis la moitié de l’après-midi. Pas la peine de m’étendre, c’est difficile, je pousse même le vélo à certains moments lorsque la pente est vraiment trop forte. S’ensuit une longue descente de 2000m en vertical, près de 7 fois la Tour Eiffel.
Je rencontre Oscar, un cyclovoyageur italien, en fin de journée. Son histoire est folle : il était en voyage sac à dos à Téhéran, il avait du temps, il a rencontré un cyclovoyageur allemand qui en avait marre de pédaler, ils ont échangé leurs projets et Oscar s’est retrouvé avec un vélo de voyage. Il veut maintenant rentrer chez lui via la Turquie et la Grèce avant de récupérer un ferry pour le sud de l’Italie. Je lui souhaite bien du courage en Anatolie avec l’hiver qui approche ! On échange des conseils, je lui donne de mon essence pour le réchaud et lui me donne quelques centimes pour que je puisse m’acheter un ognon pour le dîner. Oui je suis vraiment fauché !
Au bout de la descente je suis face à l’Iran. Les montagnes vertes et boisées quelques kilomètres auparavant sont remplacées ici par de la roche complètement nue, les sommets sont comme des dents acérées s’élevant vers le ciel. Je m’arrête à quelques kilomètres du poste frontière, ça serait bête d’entrer en Iran le soir et décompter un jour sur mon visa de 30 jours.
12 octobre, jour 112 : Meghri – Frontière iranienne (9 km)
L’Arménie et l’Iran sont séparés par une rivière. Une clôture grillagée et barbelée barre le chemin de ceux qui voudraient traverser la frontière en loucedé. Du coup entre cette clôture et la montagne qui s’élève rapidement, la route est comme un couloir et au bout je peux sortir d’Arménie. Si l’entrée s’est faite très rapidement, à la sortie le policier analyse scrupuleusement mon passeport, au microscope, avec différents éclairages puis à la loupe et en me comparant à la photo une bonne dizaine de fois. Je me retiens d’éclater de rire devant tant de zèle. Il finit par tamponner le passeport avec une encre bavant partout, au contrôle suivant les policiers constatent que le tampon est illisible mais je comprends qu’ils sont habitués à ce problème.
Après la traversée du pont séparant les deux pays, je rentre en Iran sans aucune remarque par rapport à mon vélo. J’avais caché ce détail lors de ma demande de visa puisqu’en principe il est interdit d’entrer dans le pays avec son propre véhicule sans être accompagné d’un guide. Le blocage a lieu au niveau du ministère des affaires étrangères, sur le terrain il n’y a aucun problème. Les policiers ne sont peut-être même pas au courant de cette règle.
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