du 23/02/2017 au 28/02/2017
Lire le suivant : Chili (1ère partie)
23 février, jour 246 : Ushuaia – Parc national de Terre de Feu (54°50.672’S 68°34.739’O) – 33km
Je récupère mes cartons à Buenos Aires, il est 23h. Je me rends au comptoir de la compagnie Aerolineas Argentinas pour acheter un billet pour le prochain vol vers Ushuaia, prévu à 4h45. Je ne voulais pas l’acheter en avance et risquer de rater le vol en cas de retard sur les vols précédents ; ça m’est revenu une cinquantaine d’euros plus cher mais c’est la classe d’arriver au guichet et d’acheter un billet d’avion comme si c’était pour un train lambda 🙂 Le vélo est embarqué pour une vingtaine d’euros supplémentaires.
Le survol de la Grande Ile de Terre de Feu, tout au sud du continent sud-américain, et de ses montagnes juste avant l’atterrissage est impressionnant. J’ai même franchement peur en voyant dans quoi je vais m’engager : le terrain est accidenté, il n’y a aucune trace humaine et les sommets sont enneigés alors que c’est l’été renseignent sur la température. Juste avant l’atterrissage, nous passons au dessus de l’île chilienne Navarino en face d’Ushuaia ; au large de cette île se trouve le mythique Cap Horn et mille kilomètres plus au sud commence l’Antarctique…
Ushuaia est une grande ville forcément tournée vers le tourisme. Elle se trouve sur la rive sud de la Grande Île de Terre de Feu, le long du détroit du Canal Beagle. C’est la « ville la plus au sud du monde » ou la « ville du bout du monde », expression vendeuse qu’on trouve un peu partout dans la région. « Ville » parce qu’il y a des villages à peine plus au sud mais bien plus difficiles d’accès qu’Ushuaia. Ushuaia se trouve à environ 55° de latitude sud, ça correspond à la même latitude que le sud de l’Écosse par exemple (Paris est à 48°). En cette fin février, dans l’hémisphère sud, c’est encore l’été, comme une fin août là-haut dans l’nord mais même l’été les températures dépassent difficilement les 15°C. Les courants océaniques qui apportent toute l’année une douceur inhabituelle à l’Europe de l’ouest sont ici absents. Je retrouve mon vélo que je réassemble en ce petit matin, après 43 heures de voyage et 11h de décalage horaire.
Le début de journée est ensoleillé, il fait frais mais je tiens à garder mon short. Le ciel se couvre à la mi-journée et ça devient vraiment difficile de ne pas se couvrir ! Je me dirige rapidement vers le parc national à une vingtaine de kilomètres à l’ouest, sous la pluie et sur la route non goudronnée ; un avant-goût de ce qui m’attendra les jours suivants ?? Je fais un peu de rando, sous la pluie toujours, jusqu’en début de soirée. Le coucher de soleil dure ici une éternité par rapport à la Malaisie où une demi-heure après le coucher il faisait nuit noire. Je me couche tôt mais je gère bien le décalage horaire de folie. Je me lève dans la nuit et découvre le magnifique ciel austral mais j’en parlerai une autre fois 🙂
24 février, jour 247 : Parc national de Terre de Feu (54°50.672’S 68°34.739’O) – Vallée gorgée d’eau (54°42.890’S 68°04.835’O) – 45 km
Les villes ou villages sont séparés d’une centaine de kilomètres, j’indique donc maintenant les coordonnées géographiques plutôt que le nom du lieu le plus proche. C’est moins poétique et dépaysant.
Grand soleil, ciel bleu, il ne fait pas si moche à Ushuaia ! J’entame la journée par une randonnée dans le parc national sur les rives du Lago Roca (il faut rentabiliser les 12€ de l’entrée !). Le lac est partagé entre l’Argentine et le Chili. Le sentier s’arrête à la frontière matérialisée par une sorte de totem métallique et interdisant de passer une ligne imaginaire. Je traverse la frontière illégalement (#thuglife) pour voir jusqu’où je peux continuer même si je sais qu’il n’y a absolument rien du côté chilien. Une autre randonnée propose de gravir un sommet du parc à près de 1000m mais je n’ai pas le temps et le courage de me lancer dans cette marche de 8 heures. Je retourne à Ushuaia à la mi-journée.
Je profite de mon passage en ville pour acheter des vêtements légers pour pédaler en manches longues. Ça ne tiendra pas très chaud mais je ne veux pas investir dans des vêtements chers, lourds et encombrants qui me serviront à peine 10 jours et que je trimballerai pour encore 6 mois. Les boutiques d’articles de sport ne manquent pas à Ushuaia, normal vu le nombre de touristes qui doit débarquer et ressentir le froid. La ville elle-même semble chère, j’avais regardé pour passer la nuit en auberge mais à 23€ minimum la nuit en dortoir c’est non. Ça fait aussi quelques jours que je n’avance pas et que je bénéficie des commodités de la ville (lit, douche, restaurants), ça ne me manque pas alors je me lance sur la route vers le nord !
Je m’engage sur la route nationale 3. Longue de 3079km, elle relie Ushuaia à Buenos Aires en suivant la côte Atlantique. À la sortie de la ville, la route se faufile dans une petite vallée qui débouche sur une large vallée glaciaire, je suis déjà de l’autre côté de la première chaine de montagnes me séparant du Canal Beagle. Je m’éloigne de la route en descendant sur ce qui semble être une prairie pour installer mon camp. Le sol est en fait spongieux et à chaque pas je m’enfonce comme si je marchais sur de la mousse. Le sol est gorgé d’une eau qui ressort et me trempe les pieds à chaque pas. Je n’ai pas d’autre choix, le reste de l’environnement est fait de montagne ou de forêt et puis en trouvant un bout de terrain plus sec que le reste, l’eau n’est pas un problème. Le paysage avec le soleil couchant est tout bonnement magnifique.
25 février, jour 248 : Vallée gorgée d’eau (54°42.890’S 68°04.835’O) – Au bord de la route (54°16.945’S 67°12.672’O) – 112 km
Levé sous un ciel brumeux qui se dégage peu à peu au cours de la matinée. Je continue sur la route 3 l’ascension d’un col à 400m. Je passe sous les remontées mécaniques de la station de ski d’Ushuaia. L’altitude est basse mais la neige ne doit pas manquer en hiver. Au sommet du col se dévoile la vallée suivante occupée par le Lago Fagnano, tout en longueur. C’est ce lac que j’avais pu voir peu avant l’atterrissage et qui m’avait effrayé. Finalement ça se passe bien 🙂
Les touristes ne manquent pas sur le point de vue au sommet du col. Même la circulation sur la « route du bout du monde » ne manque pas. Je suis également loin d’être le seul voyageur à vélo, j’en ai croisé une bonne dizaine depuis mon arrivée en Argentine. Il y avait le plaisir de s’arrêter et de discuter un peu dans les pays précédents, lorsque je n’en croisais qu’une fois par semaine ou par mois. Ici c’est tellement commun que l’on se salue à peine. C’est vraiment la Mecque du voyage à vélo !
Je longe le lac vers l’est avec un vent favorable qui me fait avancer rapidement. Ma plus grande crainte en Patagonie est ce vent, orienté généralement du nord-ouest vers le sud-est… Je devrais donc l’avoir de face la plupart du temps. Des témoignages de voyageurs à vélo disent avoir fait face à des vitesses de 100 km/h, rendant toute progression impossible et même dangereuse avec le vent de côté à cause des écarts de trajectoire. Pour l’instant ça va, les montagnes alentours doivent atténuer la force du vent.
Je passe par la petite ville de Tolhuin et continue vers le nord. La pampa commence, la forêt laisse sa place aux énormes étendues d’herbes, de buissons et autre végétation rase. Toutes les terres sont soigneusement quadrillées, délimitées, cadastrées, clôturées, privatisées. Je me retrouve sur la route un peu comme dans un tunnel fermé des deux côtés par des fils barbelés avec juste la possibilité d’avancer – ou de reculer mais ça n’aurait aucun sens. C’est très ennuyeux pour trouver un terrain où passer la nuit. Les rares barrières mobiles, qui me permettraient d’entrer dans un champs, sont enchainées et cadenassées. Après pas mal de recherche et d’hésitation, je m’installe tout près de la route, à même pas 10 mètres de la circulation et à peine caché par une petite butte. Je crois que je vais rapidement jouer à escalader les barrières…
26 février, jour 249 : Au bord de la route (54°16.945’S 67°12.672’O) – Rio Grande – 81 km
Alors c’est le défilé, ça circule dans tous les sens, même au bout du monde et au milieu de rien, pas moyen d’avoir la paix :’). Je fais un décompte sur 15 minutes : 56 véhicules dans les deux sens, ça fait 224 par heure ou 4 par minute. Et il y a pas mal de bus de touristes parmi eux. C’est un dimanche, tout le monde est de sortie pour rendre visite à mamie.
Je continue à avancer dans un paysage de pampa, j’aperçois l’océan Atlantique en fin de matinée. Pas question de se baigner, il fait déjà frisquet hors de l’eau. Cette arrivée sur la côte marque le début du calvaire. Hasard ou géographie, un fort vent de nord-ouest (= de face) se lève à ce moment-là et ne me quitte plus. Je n’ai plus de compteur en état de marche depuis mon arrivée en Argentine mais je pense que ma vitesse chute de 20 km/h à quelque chose comme 7-8 km/h. Et je ne chôme pas, je pousse pour tenir cette allure d’escargot ! Je ne suis même pas aidé par la météo, de brèves pluies se succèdent avec à chaque fois l’hésitation à enfiler les vêtements de pluie ou non. Finalement je les garde, plus pour me préserver du vent frais que de la pluie.
Je pousse malgré ce vent abominable, de toute mes forces. Pour déjeuner je n’ai d’autre choix que de m’asseoir par terre sur le bord de la route dos au vent, les champs étant clôturés et les lieux où m’abriter absents. Sur le moment c’est difficile mais j’y ai survécu. L’eau se fait rare, il n’y a pas de torrents comme en montagne, il y a quelques rivières qui se jettent dans l’océan mais leur eau doit être salée. Je pousse donc jusqu’à la ville suivante Rio Grande, située à l’embouchure du Rio Grande, la plus grande rivière du coin. Ils ne se sont pas cassés la tête pour les noms.
Les derniers 15 kilomètres se font heureusement vers l’ouest avec le vent en travers et de dos. C’est reposant et gratifiant de rouler 3 fois plus vite que le reste de la journée sans efforts. Mais c’est aussi dangereux parce que j’appuie sur le guidon contre le vent pour rouler droit mais les rafales ou les camions sur leur passage poussent le guidon d’un côté ou de l’autre, c’est très casse gueule. Il faut tenir le guidon fermement et rester concentré. Je réussis finalement à faire 80 km dont plus de la moitié avec vent de face. Mes jambes sont toutes endolories comme jamais depuis le début du voyage. Je passe la nuit sur une pelouse en ville. Installer la tente avec ce vent relève du cinéma burlesque !
27 février, jour 250 : Rio Grande – San Sebastian – 82 km
Rio Grande abrite un port militaire de la marine argentine. D’ici sont notamment partis des soldats pour combattre aux Iles Malouines. Ce conflit a opposé l’Argentine au Royaume-Uni en 1982 au sujet des Iles Malouines, un archipel de l’Atlantique sud au large de l’Argentine. L’Argentine y a envoyé des colons au début du 19ème siècle avant qu’ils ne soient chassés par d’autres colons britanniques en 1833. L’Argentine a déclaré la guerre en avril 1982 et débarqué sur les iles. Après quelques semaines de combats dans des conditions difficiles, le Royaume-Uni est sorti gagnant. Depuis, l’Argentine semble nourrir une rancoeur. On trouve des monuments rendant hommage aux soldats engagés, ce qui est plutôt normal autour d’une base militaire. On trouve dans les villes des rues « Calle Malvinas Argentinas », des panneaux au bord des routes clamant « Las Islas Malvinas son Argentinas » et des promesses « nous n’oublions pas », « nous reviendrons »…
Le vent reste défavorable mais moins que la veille. Je peux avancer le long de l’océan Atlantique avec des terrains absolument plat de chaque côté. J’atteins en fin de journée le poste frontière de San Sebastian. Il n’y a rien qu’une station-service, un petit hôtel et la douane argentine. Je peux boire un café et m’abriter du froid et de l’humidité à l’hôtel. J’apprends que le poste frontière dispose d’une maisonnette avec une cuisine où je peux passer la nuit gratuitement. D’autres voyageurs, en vélo et en sac à dos, sont déjà sur les lieux, ce n’est pas royal mais nous sommes tous contents d’éviter le vent et la pluie à l’extérieur.
28 février, jour 251 : San Sebastian (Argentine) – San Sebastian (Chili)
Avant de quitter l’Argentine, j’essaie de me ravitailler en nourriture. J’ai de quoi tenir 2 jours et demi pour les 160 km à venir jusqu’à la prochaine ville mais en cas de pépin, ça peut devenir insuffisant. Voyant le prix des pâtes vendu à l’hôtel, l’équivalent de 4 euros le petit paquet, je choisis de continuer avec ce qu’il me reste.
Le passage du poste frontière argentin se fait sans problème, le poste chilien porte le même nom mais il se trouve à 15 kilomètres de là. Je suis accompagné par un couple de cyclistes argentins qui a laissé sa vie à Ushuaia pour partir à vélo ils-ne-savent-pas-trop-où mais avec leur chienne dans une remorque. Et c’est génial comme compagnon de voyage ! Elle peut rester dans la remorque ou bien descendre et courir à côté de ses maitres. Je vais cependant bien plus vite sur la piste de gravier sans même pédaler, porté par un vent d’est une fois n’est pas coutume.
L’entrée au Chili est pénible à cause de l’interdiction de transporter des produits animaux et végétaux. Les fruits, la viande, le fromage, le miel et les produits similaires doivent être jetés avant d’entrer au Chili sous peine d’amende. Je pense que les autorités veulent minimiser la propagation de parasites et insectes nuisibles entre les deux pays. Ça semble vain puisque la frontière sur cette ile désolée est en réalité juste une ligne imaginaire matérialisée par rien du tout en dehors de ce poste frontière. Mais ça a du sens d’éviter de transporter ces parasites jusqu’au coeur du Chili, là où la séparation d’avec l’Argentine est faite par la Cordillère des Andes. Pour ce qui me concerne, mes pommes et mes raisins secs posent problème alors je me gave avec plutôt que de les jeter. Le reste issu de procédés industriels passe sans problème (confiture, pâtes, riz, sauces…).