Ça fait un moment que je n’ai pas fait le point sur ma progression, c’est le moment de le faire avant de continuer vers le gros morceau que va être l’Iran.
Je suis sur la route depuis 3 mois et demi, j’ai parcouru 8000 km. Ça fait une moyenne de 77 km par jour ; si l’on retire l’attente du visa iranien pendant 8 jours, ça remonte la moyenne journalière à 83 km. Le parcours tracé avant le départ prévoyait environ 6600 km pour arriver là où je suis. C’est plus que prévu mais j’ai aussi fait des détours pour visiter des lieux intéressants.
Je craignais de ne pas tenir le rythme physiquement mais finalement tout va bien. J’ai bien eu des douleurs au genou droit qui m’empêchaient de m’accroupir, j’ai compris qu’elles venaient de ma manière de lancer le vélo au démarrage en appuyant fortement avec la jambe droite alors que mon corps n’était pas centré. C’était gênant au début du voyage mais je fais depuis attention à démarrer progressivement pour ne pas abimer les articulations. J’ai de temps en temps des douleurs à cause de l’assise sur la selle mais ça va, ça vient. Le cuir de la selle est une matière vivante qui change avec l’humidité et l’utilisation, je peux retoucher à la tension du cuir si besoin, en général je fais une petite pause et tout va mieux.
Les conditions climatiques ont bien évolué. Jusqu’à l’entrée en Turquie le climat était estival et méditerranéen, c’est-à-dire chaud et sec, avec des nuits elles aussi chaudes. En montant sur le plateau anatolien et maintenant sur le plateau transcaucasien, les journées sont douces et ensoleillées mais les nuits très fraîches à cause de l’altitude encore 1000 et 2000 m. J’ai eu même eu quelques gelées. La température monte très vite dans la matinée avec 15-20° de gagnés en quelques heures, et perdus lorsque le soleil se couche. L’automne s’installe et avec lui les journées de plus en plus courtes. C’est assez fatigant d’avoir à supporter le froid sur les parties exposées (visage, pieds, mains) tandis que les vêtements et l’effort tiennent chaud le reste du corps. Ces conditions m’obligent aussi à rester sous la tente dès que le soleil est couché. Les journées sont plus courtes et peut-être plus intenses pour continuer à avancer.
Le vélo tient le coup malgré des passages difficiles qui secouent pas mal ! Pas de crevaison à déplorer depuis l’Italie, soit 5000 km. C’était, pour rappel, des ruptures de rustines et pas des vraies crevaisons donc les pneus Schwalbe à 45€ l’unité font parfaitement leur travail, ils n’ont pas failli depuis le départ et ils sont bien partis pour vivre encore un bon paquet de kilomètres. La béquille a cassé au milieu de la Turquie mais j’utilise maintenant un bâton : c’est beaucoup plus stable et ça ne coûte rien ! La chaine avait cassé plusieurs fois en Grèce mais, depuis, plus de casse à déplorer. Certains pignons et plateaux sont bien usés, les dents sont taillées en pointe et risquent de ne plus très bien accrocher la chaine, à surveiller. Le reste du matériel fonctionne parfaitement, hormis le matelas qui voient les bandes de mousse intérieures se décoller en partie et former des bosses inconfortables.
Côté budget, je m’étais donné comme ordre de grandeur 10€ par jour. En gros ça veut dire pas d’hôtel et de temps en temps des déjeuners au restaurant. Je suis à 1036€ dépensés en 104 jours, c’est amusant de voir que je respecte le budget d’aussi près alors que je ne compte les dépenses qu’une fois par mois ! En réalité j’inclus toutes les dépenses même les choses exceptionnelles comme des réparations vélos, des expéditions de colis ou les frais pour le visa.
J’adore voir le paysage défiler et changer, me repérer avec telle colline ou telle montagne, la voir s’approcher puis s’éloigner au long de la journée, voir aussi l’avancement sur la carte. Les contacts avec les gens sont malheureusement le plus souvent limités par la langue, ils me parlent, je devine les questions typiques : tu viens d’où, tu vas où, tu as quel âge, tu es seul, et cela plusieurs fois par jour. C’est un vrai plaisir de rencontrer quelqu’un avec qui la conversation peut aller un peu plus loin. Ça serait bien ambitieux de vouloir apprendre la langue, je ne suis pas doué pour cela. En plus les 5 pays que je viens de passer ou vais passer utilisent 6 alphabets différents : grec en Grèce, latin en Turquie, géorgien et cyrillique en Géorgie, arménien et cyrillique en Arménie et arabe en Iran ; je ne peux la plupart du temps même pas essayer de deviner ce qui est écrit ! Mais on s’en sort toujours pour les choses basiques, à force de temps et d’essais / erreurs. Ça fait parti du voyage et de l’immersion, c’est tout l’intérêt de ce genre de voyage que de sortir des sentiers battus et des quelques lieux très habitués au tourisme. Les gens sont surpris de me voir débarquer là, me demandent ce qui a bien pu m’amener dans ce coin perdu et c’est vrai que c’est bizarre pour eux de se dire qu’un type est venu depuis Paris à vélo jusqu’à leur village !
Pour la suite, je vais grimper haut en Arménie pour visiter un lac à l’eau cristalline et le caravansérail le mieux préservé du pays. Je traverserai ensuite les montagnes du Karabagh, paraît-il magnifiques, avant de passer en Iran. Je resterai dans les terres sans rejoindre la mer Caspienne, ça m’évitera des cols élevés et surtout de longer la mer où le camping sera difficile et le trafic routier désagréable sur la seule route présente. Je ne sais pas encore si j’irai à Téhéran, l’entrée de la ville sera sans doute un cauchemar.