Récit de voyage : Turquie

du 18/08/2016 au 24/09/2016

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18 août, jour 57 : Frontière Grecque – Kesan (39 km)

Dès l’entrée en Turquie, je m’élance sur la grande (et seule) route allant vers Istanbul. C’est une large route en ligne droite qui ressemble à une autoroute mais les vélos n’y sont pas interdits et j’ai souvent la place de rouler tranquillement sur la bande d’arrêt d’urgence sans trop m’inquiéter du danger. Il me semble ne pas avoir d’autre choix si je vais vers la capitale, il n’y pas d’autre route sauf à faire de longs détours et affronter les dénivelés sans l’assurance de rouler sur du bitume.

Je m’arrête quelques kilomètres après la frontière dans un lotissement d’immeubles, certains finis, d’autres encore en construction. Je compte trouver de l’eau et faire ma pause de midi. J’aperçois une cour entre les immeubles avec des bancs à l’ombre sous les vignes ainsi qu’une mosquée à proximité où je trouverai de l’eau. À peine entré dans la cour, je découvre qu’il y a un café où les travailleurs du chantier font également leur pause de la mi-journée. Ils m’invitent à boire un thé et m’assaillent de questions lorsqu’ils comprennent que je viens de Paris. Ils me félicitent et l’encouragent pour la suite. Premier contact avec les turcs très sympathique !

Je reprends ensuite la route et je commence à me rendre compte de la galère que seront les jours suivants… La route est rectiligne et les collines se succèdent à l’infini. J’ai de la peine à monter au sommet d’une colline maid quand j’y arrive, je vois la route descendre et aller vers la colline suivante, identique à celle que je viens de passer. Le paysage a bien changé par rapport à la Grèce tout juste quelques kilomètres derrière : les collines étaient plus rapprochées et plus élevées, ici elles semblent si petites parce qu’elles sont si lointaines. On peut penser que c’est plus facile mais non, la route ne s’adapte pas au terrain et tire tout droit, quitte à monter 150m pour les redescendre immédiatement.

Route interminable en Turquie

Le vent est aussi un ennemi impitoyable, il réduit mes efforts à néant. Le soir venu, je m’installe dans un pré aux abords de la grande ville de Kesan. Déplier la couverture de survie qui protège le sol de ma tente puis déplier la toile de la tente elle-même est sportif avec le vent qui ne s’arrête jamais. Je crois que la tente a la forme la plus misérable de toutes les fois où je l’ai installée mais elle tient le coup face aux rafales.

19 août, jour 58 : Kesan – Tekirdag (88 km)

J’essaie de couper par une petite route pour récupérer la route en direction de la capitale, je me retrouve bien vite sur une piste de gravier mais ça se passe mieux que prévu. Petit coup de stress quand même en voyant une bande de gros chiens errants tranquillement posés en plein milieu de la route : ils aboient et me courent après quelques mètres mais ils sont moins agressifs que les chiens grecs. Je vais devoir m’en méfier malgré tout.

Bis repetita, même route que la veille. À midi, en cherchant à manger, je rencontre un jeune homme, Hussein. Comme il n’y a rien à acheter dans son village, hormis du pain, il m’invite à manger chez lui !

Je reprends la route après le déjeuner et je dois affronter un vent (qui me semble) de plus en plus fort. Oh pas beaucoup, 30, 40, parfois 50 km/h je pense mais en pleine face. Ça suffit à me ralentir à 12 km/hquand je pourrais rouler à 22. En montée, je suis même réduit à pousser le vélo pour avancer presque aussi vite avec moins d’effort. Ce vent présente au moins l’avantage de me rafraichir face au soleil de plomb.

Same road to Istanbul...

J’arrive épuisé en fin de journée et pour couronner le tout, je ne parviens pas à allumer le réchaud pour cuire des œufs. C’est la première fois que j’utilise le combustible de lampe à pétrole acheté en Grèce, il est plus « lourd » que l’essence classique et s’évapore moins facilement. Or ce sont les vapeurs qui s’enflamment et pas le carburant qui reste liquide. Cette essence est aussi plus pure et propre que de l’essence de voiture, c’est la raison pour laquelle j’ai changé. Je me retrouve donc à essayer d’allumer de l’essence en vain, je laisse finalement tomber et improvise un dîner au Nutella 🙂

20 août, jour 59 : Tekirdag – Silivri (81 km)

Le cadre change un peu puisque la route suit désormais la côte de la mer de Marmara, entre la Méditerranée et la mer Noire. Il n’y a quasiment plus de dénivelé et le paysage plus varié mais le vent de face se renforce. Plus je m’approche d’Istanbul, plus le trafic de voitures et de poids lourd se densifie dans mon sens. J’ai donc toujours du mal à avancer et ce n’est certainement pas une partie de plaisir. Je suis balloté dans tous les sens, comme un vulgaire fétu de paille ; par le vent de face puis pouf ! une rafale de côté, par les camions qui d’abord me poussent vers l’avant, me soufflent vers le bas côté puis m’aspirent vers eux au moment où ils sont encore à moitié passés.

Chantier d'enfouissement d'un tuyau

J’essaie de quitter la grande route pour la suivre sur les nombreuses contre-allées. Ça m’oblige à me creuser la tête et à consulter très régulièrement la carte mais au moins je ne pédale pas sur une quasi-autoroute.

En début de soirée, alors que j’ai terminé de manger sur le bord de mer à Silivri, je me mets à la recherche d’un terrain pour installer ma tente et y passer la nuit. Un homme m’interpelle et m’explique qu’il est souvent hôte dans la communauté Warm Shower, c’est un site proposant aux voyageurs itinérants une douche ou même de loger chez des gens volontaires mais je ne l’ai jamais utilisé. Reçep me propose de dormir chez lui cette nuit, ce que j’accepte avec plaisir. La longue route à pied jusqu’à son appartement est l’occasion de présenter mon voyage, d’être conseillé sur les villes à visiter plus tard sur la route.

Reçep à Silivri

21 août, jour 60 : Silivri – Istanbul (85 km)

Je reprends la route après que Reçep m’eut offert un bâton de bambou qui me servira à me défendre contre les chiens errants (ou juste pour frimer). J’essaie encore, comme la veille, d’éviter la grande route en prenant des routes plus petites parallèles.

J’entre dans Istanbul peu après le déjeuner alors que je suis encore à 40 km du centre historique : la mégalopole est vraiment tentaculaire. Comme la région autour du détroit du Bosphore est assez montagneuse, tous les terrains propices sont construits et ils ne lésinent pas sur les moyens, il y a des chantiers en cours un peu partout. C’est une véritable frénésie de construction. Je me retrouve sur une route de 4×3 voies, ce n’est même pas une autoroute mais c’est cauchemardesque. Je n’ai pas vraiment le choix, au moins le chemin est simple, l’alternative serait d’augmenter de beaucoup la longueur à parcourir et de m’arrêter toutes les deux minutes pour vérifier quelle direction prendre à l’intersection. C’est véritablement la pire journée depuis le départ.

Entrée d'Istanbul

Finalement j’arrive dans le centre historique, sur la rive européenne au sud de la rivière de la Corne d’Or, où se trouvent le musée Aya Sofia (Sainte-Sophie), la Mosquée Bleue et le Palais de Topkapi, la résidence du sultan. La ville est chargée d’histoire après avoir été la capitale de l’Empire Romain d’Orient pendant plus de 1000 ans (!) puis celle de l’Empire Ottoman près de 500 ans.

Aya Sofia

Je passe cette nuit et la suivante dans une auberge pour me reposer après un mois et demi d’efforts continus !

22 août, jour 61 : Repos

23 août, jour 62 : Istanbul – Gebze (56 km)

La traversée se fait en fin de matinée par l’un des nombreux bateaux reliant les rives européenne et asiatique. Je longe la côte sud, d’abord dans un décor urbain puis en suivant une très longue promenade sur le bord de mer. Imaginez une zone piétonne quasiment continue longue d’une vingtaine de kilomètres aménagée avec des pelouses et des aires de jeux, ça me change vraiment de l’entrée de la ville des jours précédents !

Traversée du Bosphore

Je finis par retrouver les bonnes vieilles routes classiques mais j’ai le choix d’emprunter des itinéraires sans trop de circulation. À noter la police qui est vraiment tendue vue la situation dans le pays après la tentative de coup d’État quelques semaines plus tôt. Je m’arrête sur une route quelconque pour vérifier ma direction sur la carte, juste avant de redémarrer, une voiture de police s’arrête et me demande ce que je fais. Apparemment je n’ai rien à faire autour d’une zone militaire (que rien n’indique), je dois circuler. Ils n’ont pas cherché plus loin mais j’ai l’impression qu’on m’en veut :'(

Au dîner, je constate que ma sauce pour pâtes est essentiellement constituée de… piment rouge. J’aurais dû mieux regarder l’étiquette : paprika n’a pas le même sens en turc qu’en français.

24 août, jour 63 : Gebze – Kazakburun (86 km)

Début de matinée difficile puisqu’il n’y a pas d’autre choix que de prendre la grande route avec énormément de poids lourds. Une ville turque ressemble aux tapis imprimés sur lesquels on jouait aux petites voitures plus jeunes : chaque ville à son ensemble de routes complètement indépendant des autres villes et pour relier les villes, une seule grosse route, parfois doublée d’une autoroute.

Au bout d’un moment je finis quand même par me libérer de l’emprise d’Istanbul (après 100 km !) et l’ambiance s’apaise. En bord de mer, un avion de chasse est exposé fièrement sur une pelouse. Un peu plus, un navire de guerre est amarré au milieu des petites barques de pêcheurs. L’armée est omniprésente !

Avion de chasse turc

Navire de guerre turc

J’emprunte en fin d’après-midi une petite route qui m’amène au bord d’un lac pour la soirée. Un parc est aménagé où des familles viennent avec leur barbecue préparer leur dîner. Je pique une tête dans le lac mais la baignade est écourtée par un fil de pêche qui s’emmêle entre mes pieds ; heureusement je suis près du bord quand mes deux pieds finissent par être complètement entravés !

25 août, jour 64 : Kazakburun – Cakiroglu (76 km)

Je finis de longer le lac et d’entrer tranquillement dans les terres. Le ciel est très nuageux ce jour-là, comme les précédents, il est vrai mais cette fois je m’approche du mauvais temps au lieu de m’en éloigner. Je finis par quitter les routes principales pour m’engager vers les collines puis les montagnes plus au sud.

Étrange chameau

Je déjeune sous un abri dans l’enceinte d’une mosquée. Un homme me salue lorsque je m’installe puis il revient un peu plus tard m’offrir un morceau de pain à peine sorti du four :). Je reprends ma progression sous les premières gouttes. Elles resteront éparses jusqu’à une violente averse dans l’après-midi mais je trouve heureusement un abri pour éviter le gros des précipitations. Je ne traverse plus que de petits villages au fond de vallées verdoyantes.

Villages dans les montagnes

Je m’arrête dans l’un d’eux pour passer la nuit. En l’absence de terrain favorable, je m’installe devant une mosquée. Un homme manifestement muet (et peut-être sourd) me propose un meilleur endroit pour poser la tente ; je le suis jusqu’à un petit bois, mon vélo avance difficilement entre les buissons et les racines. J’avoue vraiment me demander où est-ce qu’il m’emmène. Il finit par me montrer un petit bout de terrain encombré de rochers et de branches mais sous les arbres, d’après lui je serai à l’abri de la pluie mais je ne peux même pas installer la tente sans compter que j’aurai bien du mal à dormir sur des pierres. Je refuse poliment et retourne à la mosquée. J’entends une vingtaine de coups de feu d’arme automatique, heureusement au loin dans la vallée. Je me dis que ce sont des gens qui s’amusent comme il peuvent…

Un autre homme arrive pour me saluer, je me dis rebelote, il s’inquiète de la pluie mais j’explique ma tente est étanche et que tout ira bien. Je comprends que c’est l’imam de la mosquée et il me donne sa bénédiction. Un peu plus tard, après la prière du début de soirée, l’imam revient m’apporter avec un repas complet ! C’est bien meilleur que mes pâtes insipides que je venais d’entamer, je vous conseille vraiment les rouleaux de feuilles de vigne !

26 août, jour 65 : Cakiroglu – Tascilar (85 km)

Une petite pluie en fin de nuit a humidifié le sol et l’atmosphère. La grimpette de la matinée jusqu’à presque 700 m d’altitude me fait traverser les nuages bas accrochés aux sommets. L’ambiance est parfois… inquiétante.

Ambiance inquiétante

C’est la première vraie montée depuis plus de deux semaines, je craignais un peu d’en souffrir mais ça se passe bien.

Je me fais un petit pote pendant la pause déjeuner mais ingrat comme un chat, il s’en va une fois qu’il comprend que je ne lui donnerai plus d’ayran, un yaourt à boire traditionnel.

Petit chat en Turquie

Je reprends ensuite la route pour passer le col le plus haut depuis le début de l’aventure, soit 1210 m ! Plus de la moitié de la montée se fait un long faux plat donc j’avance correctement sans pousser très fort. La route est en travaux importants à certains endroits, je vois toutes les étapes de réfection de la chaussée au cours de l’après-midi.

La suite est une longue descente au fond d’une vallée toujours aussi verdoyante. Je passe la nuit dans un champs où je me fais un matelas de paille pour m’isoler des pierres qui constellent le sol. Paille + matelas gonflable = lit bien confortable ! Comme je reste à 900 m d’altitude, la soirée et surtout la nuit sont bien fraiches. Je ne suis pas contre après les chaleurs de la journée.

27 août, jour 66 : Tascilar – Fasil (84 km)

En quittant la vallée, je quitte la verdure pour entrer dans un paysage d’immenses collines rocailleuses cernées par des montagnes au loin. Des falaises aux strates colorées de rouge et de blanc défilent le long de la route. Parfois les couleurs deviennent plus riches avec des tons verts ou bleus. Exceptés quelques champs de blé moisonnés et les disgracieuses lignes à haute tension, je me croirais dans un désert loin de tout. Les villes et les villages sont maintenant bien plus espacés. Je suis véritablement arrivé sur le plateau anatolien.

Strates en Anatolie

Je suis bien en peine de trouver un abri pour manger à l’ombre, je m’installe devant un enclos de mouton faute de mieux. Dans l’après-midi, je passe au dessus d’une rivière qui alimente une retenue d’eau. Les berges de la retenue sont devenues un lieu de privilégié pour les oiseaux et pour ceux qui voudraient les observer.

Birds paradise 2

Birds paradise

Je m’arrête au bord d’un champs de maïs pour y passer la nuit. J’en profite pour essayer de cuire un épi de maïs et, comme ça marche bien, j’en fais mon repas en remplacement des lentilles que j’avais prévu. Je me fournis directement à la source !

28 août, jour 67 : Fasil – Malikoy (93 km)

Je continue de pédaler au pied de sommets et de falaises colorées dans la matinée. J’arrive à dépasser les 50 km avant midi pour me permettre une sieste et d’y aller plus tranquillement l’après-midi… C’est en tous cas ce que je crois.

Plateau Turquie

Je laisse les belles routes bien entretenues pour m’engager sur des petites routes désertes. Ça a l’avantage d’être plus direct mais aussi de me faire passer dans des vallées encaissées et des lieux isolés avec presque pas d’autres véhicules. Par contre il ne faut pas avoir peur de rouler sur des cailloux voire des sentiers pour tracteurs.

Vallée perdue en Turquie

Le soir, il fait déjà nuit quand je finis de manger – les lentilles sont vraiment longues à cuire surtout en altitude ! Je m’installe en plein milieu d’un parc en ville mais il n’y a personne et je me place à l’ombre des éclairages. Ça n’empêche pas de jeunes de venir, remarquer ma présence et me harceler de questions alors que je suis dans la tente et que je veux juste dormir. À les écouter je crois comprendre qu’ils ont appelé un « jandarma » qui arrive effectivement une demi-heure plus tard : contrôle du passeport et tout le tralala, en caleçon et sous la pluie. Les jeunes n’hésitent pas à m’éclairer avec les lampes torches de leur téléphone, à regarder lcuriosité malsaine et agaçant des jeunes qui trouvent la situation drôle. Le gendarme me dit que c’est bon mais je devrai partir à la première heure le lendemain. Je finis par être tranquille à 23h.

C’est une bonne piqûre de rappel : j’ai pris trop de confiance en installant petit à petit ma tente sans me cacher à la vue de tous, je dois essayer de m’isoler pour passer la nuit en paix.

29 août, jour 68 : Malikoy – Serefligokgoz (82 km)

Je fais encore une grosse matinée en bénéficiant du léger vent de dos. Ça me permet de prendre une longue pause de midi. Mais à peine reparti, un orage se déclenche et m’oblige à m’abriter dans une grange pour plus d’une heure. Finalement à 16h je repars sous un soleil éclatant qui sèche mes affaires.

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Le village dans lequel j’arrive me vaut un accueil par un homme qui me fait faire une visite et me présente à tous les gens qu’il rencontre. Le mot circule vite qu’un français à vélo est dans le village et des enfants, dont un français en vacances au pays, me rejoignent pendant que je prépare le dîner. Sages comme des images au début, un des enfants retrouvera assez de confiance en lui pour faire des bêtises. Il attrape un système d’arrosage qui pulvérise de l’eau dans toutes les directions, il a beau viser ses copains, mon vélo sacoches complètement ouvertes reçoit aussi sa dose… MERCI. BEAUCOUP.

30 août, jour 69 : Serefligokgoz – Fevziye (85 km)

Le paysage s’adoucit beaucoup, je peux voir les champs de blé s’étendre à perte vue, sur des kilomètres dans toutes les directions. Là où l’eau est abondante pour irriguer, les champs deviennent verts et permettent de faire pousser melons et citrouilles.

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Dans la ville de Kulu, un gérant d’une petite épicerie m’invite à boire le thé. J’apprends qu’il est kurde et il critique la manière dont le gouvernement turc traite son peuple, il n’a par exemple pas de passeport et ne peut pas voyager. La barrière de la langue m’empêche d’en savoir plus.

Je prends la mauvaise route en sortant de Kulu, je me rapproche d’un petit lac asséché que j’hésitais à aller voir donc ce n’est pas plus mal 🙂 Les bosses puis le sol du lac asséché sont difficiles à parcourir avec le vélo. Les pneus s’enfoncent de 2-3 cm dans le sol encore un peu humide et ça me demande un grand effort pour avancer. Je laisse donc le vélo et me rapproche du centre du lac à pied, jusqu’à que je ne puisse plus moi-même avancer sans m’enfoncer dans le sol boueux. En réalité, à part les jolis motifs de sol craquelé, il n’y a pas grand chose à voir, j’espérais découvrir une croute de sel ou quelque chose qui me donnerait un avant-goût du Tuz Golü, le grand lac salé où je passerai le lendemain.

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Je passe la nuit dans un champs de blé à l’écart de tout. Le ciel dégagé et la nuit assez noire me permettent de faire des photos du ciel étoilé mais c’est compliqué de sortir les photos pour les publier ici donc je les mettrai en ligne plus tard !

31 août, jour 70 : Fevziye – Altinkaya (90 km)

Je parviens enfin au Tuz Golü dans la matinée, c’est en partie pour le visiter que j’ai fait un détour vers le sud de la Turquie ! Les rives du lac ne sont accessibles – à vélo – qu’en empruntant une route au nord du lac et qui le traverse ensuite.

Je commence par faire le malin en descendant sur le sol asséché du lac et en roulant dessus. Comme la veille, l’effort pour avancer est énorme à cause du sol meuble : imaginez vous rouler sur une plage, sans VTT et avec un vélo de plus de 40kg. Remonter sur la digue-route me demande un effort encore plus important parce qu’il faut grimper 2-3 mètres de rochers… En avançant un peu, j’aperçois enfin la tant attendue croute de sel. C’est vraiment impressionnant à voir, je descends à pied marcher dessus, je goûte même un morceau du sol pour vérifier que c’est bien du sel ! Ça ressemble à de la glace, je m’attends à glisser dessus, à ressentir du froid en touchant le sol avec les mains, à découvrir de l’eau sous la surface mais non. Le sol ne glisse pas, il est tiède et quand il y a de l’eau, celle-ci est au dessus du sel et elle est tellement saturée que le sel sur mes mains ne fond pas au contact de l’eau. La ressemblance avec une croute de glace est perturbante, je m’imagine plusieurs fois la possibilité de voir un phoque sortir d’un trou ou d’un ours polaire parcourir la banquise…

Croûte de sel sur le Tuz Golü
Croûte de sel sur le Tuz Golü
Selfie sur le Tuz Golü
Selfie sur le Tuz Golü

Je continue d’avancer jusqu’à trouver une rampe qui me permet de descendre rouler sur le sel. J’avance plus facilement qu’avant, je vais même rouler sur une partie du lac encore couverte de 10-20 cm de saumure. Je crois voir une route goudronnée sur la croute de sel, j’essaie de la rejoindre mais le sol devient de plus en plus meuble jusqu’à que je sois complètement arrêté. À cet endroit le sel repose sur une boue noire qui a la couleur du bitume et que j’ai confondu avec une route. Je suis bien embêté parce que ça a une consistance proche du sable mouvant et à chaque pas mes pieds et les roues du vélo s’enfoncent dans la boue. Je réussis à en sortir mais le vélo et moi sommes dans un état lamentable, couverts d’une boue salée noire comme le bitume. Cette épreuve calme mes ardeurs, je reprends ma route vers la ville suivante pour déjeuner et laver la boue. En chemin, je passe par la mine de sel où des camions se relaient pour décharger leur cargaison de sel ramassé à la pelleteuse plus loin sur le lac.

Piles de sel
Piles de sel

Le reste de la journée, je roule sur une grande route (pas d’autre choix) qui longe parfois le lac salé. La matinée je n’ai roulé que sur une petite partie du lac d’environ 10 km d’ouest en est mais il s’étend sur plus de 50 km du nord au sud. Le vent de dos me permet d’avancer très vite, à plus de 25 km/h de moyenne. J’aurais pu forcer et battre un record de distance mais je m’en garde un peu pour le lendemain.

1er septembre, jour 71 : Altinkaya – Mont Hasan (75 km)

Levé avec le soleil, je vois se dessiner la silhouette d’un volcan à l’horizon sud. J’avais vu le Mont Hasan sur la carte et j’hésitais à y aller, cela me prendrait deux bons jours de vélo en plus par rapport à une route directe vers l’est. Le voir dominer ainsi tout son environnement est un appel à tenter l’ascension, je décide de foncer ! Cap plein sud.

En route vers le Mont Hasan
En route vers le Mont Hasan

Le vent favorable de la veille a tourné et est maintenant un ennemi impitoyable contre lequel je lutte toute la matinée. Je parviens à la grande ville d’Askaray pour le déjeuner. Je me prépare à passer la nuit et le lendemain isolé dans la montagne donc je prends tout ce qu’il faut en provisions. Je reprends la route vers le sud mais elle est complètement défoncée sur plusieurs kilomètres et je m’épuise. Je vise le bout d’une route sur le volcan, à 1700m d’altitude alors que le plateau où j’ai passé la journée est à 1200m, belle petite montée. Je réussis à me hisser jusqu’à 1550m sur le vélo mais je pose pied à terre pour l’ascension finale, trop raide. Record d’altitude à vélo de toute façon battu 😉

Je passe la nuit à 1700m sur une aire de pique-nique abandonnée, sur la face nord du volcan. Cette fois je l’admire au soleil couchant en étant 60 km plus proche qu’au levant.

2 septembre, jour 72 : Mont Hasan – Kirazli (8 km)

Je pars un peu plus tard que je ne l’aurais souhaité, vers 7h00. J’embarque 2 litres d’eau, un déjeuner et des barres dans un petit sac à dos, c’est léger, je n’ai pas besoin de plus. À mes pieds, pour la première fois depuis le départ, des chaussures de rando légères que j’avais prévues pour pédaler par temps frais et justement pour marcher à l’occasion. Je n’ai pas de carte hormis Google Maps en mode relief et le parcours approximatif d’un randonneur qui a trouvé l’ascension « facile ». Je vise le sommet mais sans prendre de risque : escalader sur 2-3 mètres pourquoi pas mais pas plus. Mes affaires sont cachées dans les bois entre des rochers, je prie pour que personne ne les trouve et fouille ou pire.

Pente sur le Mont Hasan

La montée est longue, je pars de 1700m et le sommet est à 3253m. Je trouve mon chemin en descendant au fond d’une vallée puis en la remontant jusqu’à 2800m. À partir de là, je n’ai plus de sentier et j’avance à vue vers le sommet, je contourne par l’est pour être sur la face la plus lisse et la moins raide. Autrement j’aurais à grimper une pente de 45° qui se termine au pied des falaises… La montée devient difficile à cause du manque d’oxygène et de la présence de sable. Chaque pas en avant me refait descendre de moitié en glissant. Les rochers ne sont pas stables. Je parviens finalement au 2ème sommet du volcan au bout de 5h. Il surplombe la caldeira volcanique, de l’autre côté se trouve le vrai sommet. Il parait si proche 300m à vol d’oiseau peut-être mais la montée semble difficile. Il faut grimper sur de gros blocs de pierre sur une centaine de mètres. Je n’ai aucune expérience d’escalade et surtout je suis seul sans matériel. Je me cantonne à mon sommet à peine plus bas (3210m au lieu de 3253m). On peut voir le lac salé au distinctement alors qu’il est situé à plus de 60 km. Il parait que la vue sur la Cappadoce est superbe mais je n’ai pas vraiment vu pourquoi, peut-être fallait-il aller sur le versant est ?

Panorama depuis le sommet du Mont Hasan
Panorama depuis le sommet du Mont Hasan
Caldeira et vrai sommet du Mont Hasan
Caldeira et vrai sommet du Mont Hasan

En redescendant sur le sable, j’ai presque l’impression de faire du ski mais c’est très casse-gueule. Comme beaucoup de randonneurs, je n’aime pas descendre, les risques de chute sont importants et ça éprouve les articulations. Au lieu de continuer sur le même chemin que la montée, au fond de la vallée, je me fraye un passage au hasard sur le flanc du volcan pour varier les plaisirs. J’ai mon point d’arrivée en vue donc pas de risque de me perdre. Ça finit malheureusement dans les ronces et les plantes rasés qui me valent plein d’épines sur les jambes et dans les chaussettes. Je finis sur les rotules après 3h30 de descente. Je n’ai vu personne de la journée alors que malgré l’absence de sentier balisé, on peut clairement voir des traces de passager même des détritus, des tags et des douilles de balles !

3 septembre, jour 73 : Kirazli – Acigol (72 km)

Réveil très très difficile à cause des courbatures de la randonnée de la veille. Ajoutons à cela un torticolis et ça donne une journée qui s’annonce pénible.

J’entre dans la région de Cappadoce, célèbre pour ses roches volcaniques très tendres qui ont permis au vent et à l’eau de sculpter des paysages grandioses et aux Hommes de creuser des maisons, des églises voire des villes troglodytiques. Je commence par approcher le canyon d’Ilhara, profond d’une centaine de mètres et long de plusieurs kilomètres. Je n’ai pas le courage de descendre l’arpenter à pied et il n’est pas possible d’y aller en vélo (surtout chargé). Je reste donc sur le plateau jusqu’à atteindre la fin du canyon où l’on peut voir des dizaines de salles creusées dans la roche.

Fin du canyon d'Ilhara

La route que j’emprunte dans l’après-midi ne présente pas de grand intérêt si ce n’est de grands espaces balayé par le vent.

En route vers la Cappadoce

4 septembre, jour 74 : Acigol – Garipce (87 km)

Je traverse la capitale régionale de Nevsehir pour retrouver de nouveau les paysages monumentaux de la région. Je déjeune au pied du château d’Uchisar, un piton rocheux sans doute d’origine volcanique qui a été creusé pour en faire un château dominant toute la région. Il semblerait que le classement par l’Unesco n’empêche pas les voitures de rouler jusque devant les grottes creusées au pied du château 🙂

Château d'Uchisar

Je traverse ensuite la vallée de Goreme où se trouvent des dizaines voire des centaines de colonnes naturelles parfois hautes de dizaines de mètres. Les torrents ont creusé des sillons sur les flancs des montagnes qui leur donnent un aspect de voile ondulant. Les éléments ont vraiment donné un résultat gracieux.

Vallée de Goreme

Vallée de Goreme

5 septembre, jour 75 : Garipce – Buyuktuzhisar (89 km)

Petite mésaventure le matin : je démarre à jeun comme souvent pour faire une dizaine de kilomètres avant de m’arrêter pour manger, plus par habitude que par nécessité. Cette fois-ci, je n’ai rien à me mettre sous la dent à part une barre chocolatée. À la reprise, je cale littéralement, incapable d’avancer sans avoir la tête qui tourne. Je pousse tant bien que mal jusqu’à un café où je peux enfin me remplir l’estomac avec autre chose que du sucre. Il faut vraiment que je surveille ce que je mange pour pouvoir pédaler dans de bonnes conditions. Le sucre en particulier est un ennemi avant l’effort, j’avais déjà constaté cela à plusieurs reprises mais cette fois j’ai été choqué.

Mosquée de Kayseri

J’atteins la grande ville de Kayseri où je passe la mi-journée. Il y a plusieurs monuments historiques à visiter mais je me limite au quartier central d’où l’on peut voir les restes de fortifications de la ville. Je n’en ai pas parlé jusque-là, on peut voir un peu partout des portraits ou des statues de Mustafa Kemal Atatürk, que ça soit sur une place en ville ou accroché au mur d’un restaurant. Il a été le leader de la résistance à l’occupation de l’Empire Ottoman par la France, le Royaume-Uni et l’Italie à l’issue de la Première Guerre Mondiale puis le fondateur de la République de Turquie moderne une fois l’Empire effondré. À noter la présence de l’actuel président turc, Reçep Erdogan qui a l’air de commencer lui aussi son culte de la personnalité 🙂

Fortifications de Kayseri

6 septembre, jour 76 : Buyuktuzhisar – Sarkisla (93 km)

Journée ma foi banale, sans événement notable ! Allez je vous offre une prise de vue en hauteur de la ville de Sarkisla avec le soleil déclinant.

Vue sur la ville de Sarkisla
Vue sur la ville de Sarkisla

7 septembre, jour 77 : Sarkisla – Sivas (103 km)

En route vers la grande ville de Sivas, je choisis de passer à travers des vallées isolées. C’est plus mignon de passer dans des petits villages et de slalomer entre les vaches que de rouler en ligne droite et de se faire klaxonner à bout portant par un camion qui souhaite m’encourager. En sortant d’une de ces vallées, je longe une rivière dont un petit affluent me permet de me doucher : c’est préférable à une douche à la casserole dans les toilettes d’une mosquée comme je faisais jusque là ! Désolé pas de photos de ce moment de communion avec la nature 🙂

Une des rares rivières pas asséchée
Une des rares rivières pas asséchée

Je finis par rejoindre la grande route vers Sivas. En cours de route, je croise un portique où doivent s’arrêter tous les « gros » véhicules (camions, vans, bus…) pour la pesée. Je me demande si c’est pour le paiement d’une taxe, il faudra que je creuse la question.

Arrêt obligé pour tous les gros véhicules (et non, pas mon vélo !)
Arrêt obligé pour tous les gros véhicules (et non, pas mon vélo !)

J’arrive à Sivas dans l’après-midi, ce qui me laisse un peu de temps pour visiter. La ville a été importante au Moyen-Age en devenant la capitale de l’Empire Seldjoukide et en possédant des écoles universitaires réputées. Je passe la nuit dans les champs encore épargnés par la construction immobilière.

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Bataille de vendeurs de machins tout meugnons sur la grande place, on aperçoit une école du Moyen-Age au deuxième plan

8 septembre, jour 78 : Sivas – Zara (94 km)

À la sortie de Sivas, je vois un panneau marron indiquant des sources froides. « Super ! Je vais aller voir ça de plus près ! ». Cette idée me coûte finalement 18 km de plus, dont la moitié à cahoter sur des rochers, pour rien. Ah si, il fallait payer pour entrer se baigner dans un bâtiment, généralement on nomme ça une piscine. J’ai quand même ri tout seul en voyant le nom de la ville de Başıbüyük (le s-cédille se prononçant [ch]). À peu de choses près c’est ici que le capitaine Haddock aurait trouvé ses fameux bachibouzouks, qui se trouvaient en plus être des mercenaires de l’armée ottomane :’)… J’ai cherché à l’instant ce que voulait dire bachibouzouk, je n’en avais aucune idée !

Mille milliards de mille bachibouzouks !
Mille milliards de mille bachibouzouks !

Le reste de la journée n’a rien de remarquable, j’avance assez rapidement à travers les collines. Le ciel est remarquablement bleu et pur, aucune trace du moindre début de commencement d’un nuage. J’aperçois très distinctement les sommets à plus de 50km de distance. L’air est tellement sec que mes lèvres gercent et les vêtements fraichement lavés sèchent rapidement.

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9 septembre, jour 79 : Zara – Saip (96 km)

Le gros morceau du jour est le premier col à plus de 2000m. Il y a au total 5 cols à passer pour rejoindre Trabzon et la mer Noire. Ce premier col fait plus peur que mal parce que le fond de la vallée est assez haut, 1400m, et une bonne partie de la route est en pente douce. Ce que je crains le plus est la forte pente où je m’épuise pour rouler à 4-5 km/h et heureusement ce n’est pas le cas cette fois-ci. Je trouve même une petite vallée où coule un torrent pour pique-niquer au calme à l’heure du déjeuner.

Col à 2190 m !
Col à 2190 m !

J’atteins finalement le col à 2190m dans l’après-midi avant d’entamer une loooongue descente. Je profite d’une section de route parfaitement lisse et droite pour faire une pointe de vitesse à 70.2 km/h ! C’est très dangereux à cause de mon chargement, le moindre caillou ou bosse pouvant me faire perdre le contrôle. Hormis ce petit lâché, j’use mes freins et me limite à 30-35 km/h.

10 septembre, jour 80 : Saip – Erzincan (102 km)

Réveil glacial, il fait moins de zéro et la tente est couverte d’une couche de glace. Le soleil levé livre ses premiers rayons et réchauffe péniblement l’atmosphère. Du coup je grimpe sur le vélo et pédale pour me réchauffer, ça reste tout de même difficile pour les orteils et les doigts malgré les chaussettes et les gants.

Qui veut une tente glacée ?
Qui veut une tente glacée ?

La température devient vite agréable, un bon 25° une fois le soleil assez haut. Je m’avance vers le deuxième col de la série. Il débute par une longue et faible montée. La pente ne sera gênante que sur quelques centaines de mètres avant de s’adoucir, je suis même étonné en passant le col à 2120m. La route descend ensuite longuement vers la grande ville d’Erzincan où je passe la nuit.

À noter ces panneaux en trompe l’oeil de policiers surveillant la route, ça marche vraiment quand on les aperçoit de loin et qu’on n’est pas habitué !

Des flics en carton
Des flics en carton !

11 septembre, jour 81 : Erzincan – Kelkit (89 km)

Je fais un détour dès le matin pour jeter un oeil à un fleuve mythique : l’Euphrate. Il prend sa source dans les montagnes turques avant de couler vers la Syrie puis l’Irak en passant par la cité antique de Babylone. Il délimite avec l’autre grand fleuve de la région, le Tigre, la Mésopotamie où se sont sédentarisés les premiers agriculteurs et où, plus tard, les sumériens ont inventé l’écriture. Le cadre n’a pas grand chose d’idyllique avec l’aéroport à proximité et des gravats entassés sur la rive 🙁

L'Euphrate
L’Euphrate peu après le lever du soleil

Je rebrousse chemin pour continuer ma route, le détour par Erzincan et l’Euphrate m’ayant rajouté une bonne trentaine de kilomètres. J’attaque le troisième col qui est un peu plus pentu que les deux précédents. En cours de route, j’entends 7 coups de feu dont le bruit se réfléchit sur les parois alentours, me donnant l’impression d’être au milieu d’une fusillade. J’aperçois les deux hommes sans doute à l’origine des tirs à quelques centaines de mètres, ils ont du tirer grosso modo dans ma direction alors que je suis sur un terrain dégagé sans abri possible. Gros coup de stress pendant une bonne minute mais ils s’en vont et je n’entendrai plus d’autre tir. En y réfléchissant à cette distance, même en me visant, ce qui n’était pas le cas, ils auraient certainement manque de précision.

Il faut imaginer la cible que j'aurais été en bas sur la route :')
Il faut imaginer la cible que j’aurais été en bas sur la route :’)

Je fais une pause déjeuner sur un alpage où un « cowboy » (c’est comme ça qu’il se qualifie) me rejoint pour discuter. Il est prof d’histoire dans un lycée d’Erzincan et il s’installe dans les montagnes l’été, pendant les vacances scolaires, pour garder des vaches.

Je continue l’ascension jusqu’au col à 2120m. Le paysage aride avec la végétation rase jaunie par le soleil s’orne maintenant de pins et de grands arbres. La route descend rapidement au fond de la vallée et s’ensuit une pente douce le reste de la journée…

L'autre côté de la montagne est bien plus vert
L’autre côté de la montagne est bien plus vert

12 septembre, jour 82 : Kelkit – Torul (91 km)

Aujourd’hui, c’est jour de fête. L’imam de la mosquée discours pendant peut-être deux heures pour appeler les fidèles à venir faire la prière du matin pour l' »Aïd » et c’est un flot ininterrompu d’hommes qui font leur ablutions, se déchaussent et entrent dans le lieu de culte.

La mosquée principale de Kelkit
La mosquée principale de Kelkit

Tous les magasins sont fermés, je finis les restes avant de prendre la route vers le quatrième col à 2020m d’altitude. Je le passe dans la matinée avant de redescendre rapidement au début et en pente douce plus tard. Le vent de face annule parfois tous les bénéfices du relief et je dois pédaler comme si je montais. Les montagnes, qui n’étaient que des pentes douces et régulières habillées d’une végétation brune rase, ressemblent de plus en plus aux Alpes ou aux Pyrénées avec des falaises, des forêts de pins et des vallées étroites.

Oh les jolis lacets !
Oh les jolis lacets !

La route fait l’objet de grands travaux pour la passer à 2×2 voies en passant au plus court dans des tunnels. Ça m’arrange, je n’ai pas à monter pour redescendre immédiatement et les dépassements par les autres véhicules sont moins risqués.

Des travaux, partout des travaux !
Des travaux, partout des travaux !

J’arrive finalement à Torul pour y passer la nuit. Je demande mon chemin à un jeune homme qui finit par m’inviter à dormir chez lui au lieu de camper, ce que j’accepte avec grand plaisir. J’apprendrai au détour de la conversation que les coups de feux entendus étaient probablement des balles à blanc qui ne font que du bruit…

13 septembre, jour 83 : Torul – Karakas (80 km)

Photo d'au revoir avec Ünal
Photo d’au revoir avec Ünal

Dernier col avant de rejoindre la mer ! C’est le plus difficile malgré la présence d’un tunnel qui m’épargne la montée au-delà de 1830m. La pente est plus importante que les jours précédents, autour de 5% en moyenne, et je pars d’assez bas, 900m. Comme je me rapproche de Trabzon, le trafic routier devient de plus en plus dense et désagréable pour mes oreilles – et pour mes poumons quand certains véhicules crachent un nuage noir.

Au tiers de la montée, je m’arrête devant le chantier d’un tunnel (qui devrait épargner à terme une grande partie de l’ascension) pour reprendre mon souffle et boire une gorgée d’eau. Un homme arrive immédiatement et me demande de m’en aller, alors que je suis bien sur une route publique et pas sur son chantier bien aimé. Ça tombe bien, j’en profite pour vérifier ma position sur la carte (des fois que…) et pour chercher un paquet de bonbons dans une sacoche, juste histoire de traîner un peu avant de repartir et satisfaire sa paranoïa 😀

Et voilà le travail, on voit sur la photo une bonne moitié de l'ascension
Et voilà le travail, on voit sur la photo une bonne moitié de l’ascension

Après le col, c’est une descente de plus de 60km qui m’attend. Je libère ainsi les efforts patiemment accumulés depuis des jours en montant de plus en plus haut. Cette énergie me fait avancer vite sans forcer, parfois même trop vite. Mais elle est surtout perdue, gâchée, dans les frottements des pneus sur le sol, dans les mouvements de l’air sur mon passage, dans les patins des freins serrant sur les jantes. Je trouve ça triste que tout ce travail, ces 1800 mètres verticaux dévallés à toute vitesse, aient disparu en vain.

Le décor a bien changé ces derniers jours, les forêts de pins et les alpages donnent à la région un faux air de montagnes européennes, l’air est plus humide et le ciel plus nuageux.

On ne s'imagine pas la Turquie comme cela
On ne s’imagine pas la Turquie comme cela

Je m’arrête quelques kilomètres avant Trabzon pour trouver plus facilement un lieu pour dormir.

14 septembre, jour 84 : Karakas – Trabzon (10 km)

Je débarque au consulat iranien pour débuter la demande de visa. J’ai déjà obtenu une « invitation » du ministère des affaires étrangères iranien en soumettant mon parcours par internet donc la demande de visa ne devrait pas poser de problème.

Manque de bol, je suis arrivé en pleine semaine fériée en Turquie et le policier surveillant le consulat me dit de revenir le lundi suivant (on est mercredi)… Il me propose de boire le thé dans sa petite cabane, ce que j’accepte avec plaisir. Un employé du consulat finit par arriver pour commencer sa journée et me dit qu’il n’y a pas de problème pour commencer la procédure pour le visa. Super ! J’entre, la dame à l’accueil me donne un formulaire à remplir puis me dit de revenir lundi puisque les banques sont fermées donc le paiement du visa est impossible… Fausse joie :'(

Inutile de dire que je n’avais pas prévu de passer 5 jours à attendre, sans compter le délai pour la délivrance du visa de peut-être 7 jours, soit 12 jours au total. La ville est franchement empoisonnée par la circulation : bouchons et klaxons en permanence dans le centre, autoroute construite en bord de mer qui est donc rendu inaccessible, agressivité des conducteurs qui me reprochent de rouler sur la route (moi je leur reprocherais bien de l’assureur avec leurs pots d’échappement trafiqués mais je ne parle pas turc 🙂 ). J’en profite pour faire un peu d’entretien sur le matériel : échange des pneus avant / arrière pour rééquilibrer l’usure (l’arrière s’usant plus vite à cause du poids), correction du voile des roues, remplacement des patins de freins, nettoyage de la chaine et des câbles…

Et puis j’attends.

Bord de mer mignon sous les nuages et bordé par deux voies rapides...
Bord de mer mignon sous les nuages et bordé par deux voies rapides…

22 septembre, jour 92 : Trabzon – Arsin (23 km)

Après 9 jours d’attente à Trabzon et dans les environs, mon visa iranien est enfin prêt à être retiré au consulat ! Je me présente en début d’après-midi comme convenu mais lorsque c’est à mon tour, la dame m’engueule (mais pourquoi ???) et me dit de m’asseoir. Après une heure d’attente, le précieux sésame est enfin entre mes mains, ce pays m’aura fait suer !

Pendant ce temps-là, comme la veille, des pluies torrentielles s’abattent sur la ville. Je patiente un peu, la pluie se calme donc je me lance vêtu des vêtements imperméables. Ça ne m’empêche pas d’être quand même humide (par condensation ?) mais ça limite les dégâts. Je reste en sandales, il fait assez doux et ça évite de tremper inutilement les chaussures. C’est parti pour du vélo sous la pluie ! Ce n’est pas si désagréable, c’est même marrant de foncer dans les grandes flaques d’eau et faire gicler l’eau sur les côtés ou sur mes pieds. Quitte à être trempé, autant se faire plaisir.

Le plus important est de garder les affaires au sec. Mes sacoches entièrement étanches jouent bien leur rôle mais il faut faire attention à les ouvrir le moins possible. Il y a juste la tente qui est exposée à la pluie mais si elle est bien roulée, avec la chambre à l’intérieur et la toile à l’extérieur, la chambre reste au sec. Après une vingtaine de kilomètres, je m’arrête sur une pelouse en bord de mer pour y passer la nuit. J’installe la tente très tôt à 17h30 pour pouvoir m’installer dedans au sec. C’est ma première soirée où je dine dans la tente, ça se fait bien. Je m’endors bercé par les vagues de 2m se fracassant sur les rochers. Rigolez pas, c’est la mer Noire, c’est comme la Méditerranée, il n’y a pas de vagues normalement !

23 septembre, jour 93 : Arsin – Pazar (107 km)

Réveil sous un ciel dégagé en même temps que le soleil. Serait-ce la fin de la pluie ? Eh bien non, les précipitations commencent en milieu de matinée pour ne plus s’arrêter… Elles sont accompagnées d’un vent qui a le bon goût de se diriger lui aussi vers la Géorgie, malgré les conditions je peux avancer très vite. Je comprends à cette occasion que la mer Noire porte son nom peut-être pas pour la couleur de l’eau ou celle du sable mais plutôt pour celle des nuages…

Lever de soleil après la pluie
Lever de soleil après la pluie
Nuages bien noirs au dessus de la mer Noire
Nuages bien noirs au dessus de la mer Noire

En passant devant l’Université Recep Tayyip Erdogan, du nom de l’actuel président turc, je réalise que nous aurons un jour des centres culturels Nicolas Sarkozy et des boulevards François Hollande.

Les montagnes se rapprochent de la mer et obligent parfois à passer dans des tunnels. La route reste toutefois plate et de bonne qualité. Je suis juste du mauvais côté de la route pour voir la mer et les falaises tombant parfois à pic. La végétation est luxuriante, ça change complètement du plateau anatolien pourtant à tout juste quelques dizaines de kilomètres de là.

Je termine la journée dans la ville de Pazar. Il est difficile de trouver un terrain plat, convenable pour poser une tente et au calme. Je trouve un immeuble en chantier où je peux m’installer. Il s’avère même abriter un lit équipé d’un matelas à ressorts !!! Je peux ainsi passer la nuit au sec et dormir dans un vrai lit tandis que dehors la pluie continue et redouble d’intensité. Il manque juste des portes et des fenêtres pour éviter les courants d’air, l’automne s’installe, la nuit est fraîche mais le duvet joue bien son rôle.

Mon superbe appart, encore en travaux
Mon superbe appart, encore en travaux

24 septembre, jour 94 : Pazar – Frontière Géorgienne (79 km)

La pluie continue pour le 4ème jour d’affilée, elle tombe même fort dès le matin. Dur dur de sortir du duvet tout chaud ! Le temps continue de se rafraîchir, il fait maintenant autour de 15° en journée. Les pluies ont gonflé les rivières. Il y a bien longtemps, à l’époque si lointaine où je venais d’entrer en Turquie et où le soleil brillait, je me demandais pourquoi les ponts étaient surdimensionnés pour laisser passer un mince filet d’eau. Maintenant j’ai la réponse. Des cascades sont apparues un peu partout sur les falaises. La mer a changé de couleur, devenue maintenant marron, de la couleur de la terre emportée par les précipitations, reprenant sa couleur bleue qu’à plusieurs centaines de mètres au large. Des coins de ciel bleu apparaissent et disparaissent, laissant pargois un espoir d’accalmie mais c’est pour mieux décevoir les gens trop crédules.

Ciel bleu,mer marron
Ciel bleu, mer marron

Je finis par arriver à la frontière avec la Géorgie dans l’après-midi. La Turquie m’en aura fait baver au cours des dix derniers jours !

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